De l'amour de l'amour

Publié le 9 Juillet 2015

L’amour est la promesse d’une vie plus intense, qui saurait combler nos attentes les plus profondes. Il apparait au plus grand nombre comme l'élément métaphysique qui manque au simple bien-être pour qu’il ne se métamorphose en bonheur. Les gens sentent bien que le confort, une jolie maison, de beaux meubles et un jardin fleuri ne suffiront pas à leur faire goûter à la plus grande douceur dont ils pourraient jouir en cette vie. L’argent et la liberté sont des conditions certes nécessaires mais insuffisantes au bonheur. C’est pourquoi tant de personnes manifestent le désir de rencontrer l’amour, il suffit de constater le succès retentissant des sites de rencontres ou l’engouement populaire pour les horoscopes de magazine, dont la structure indique clairement les attentes et les inquiétudes humaines – dans l’ordre : amour, travail, santé.

 La plupart du temps, Il ne s’agit pas de rencontrer quelqu’un en particulier mais l’amour lui-même. C'est l’idée d’être amoureux qui est séduisante, car elle active tout un arrière-monde fantasmagorique, mélangeant imaginaire collectif et personnel. Cette quête de l'amour pour l’amour procède d’une idéologie qui n’est pas neuve – au XVIIe siècle, La Rochefoucauld observait déjà que certaines personnes sont si soucieuses d’elles-mêmes qu’elles trouvent moyen d’être occupées de leur passion sans l’être de la personne qu’elles aiment – mais elle se répand aujourd’hui de façon inquiétante. On peut l’associer à la propagande consumériste, à la promotion du développement personnel, au coaching de la séduction ou encore aux injonctions à se soucier de soi. Chaque individu se doit d’être une entreprise performante, de se déployer sur un maximum de secteurs existentiels – dont l’amour fait partie au même titre que le sport, les voyages, la cosmétique, les hobbies ou la nourriture de qualité. Chacun doit chercher à accroître toujours davantage son profit personnel, à enrichir toujours plus son existence propre, en vivant des expériences individuelles parmi les plus intenses ; et l’amour est envisagé comme l’une de ces expériences. Une « aventure » comme disent aussi les candidats à ces grands jeux de télé-réalité.

 La rencontre amoureuse est présentée comme promesse d’accession à une figure de la jouissance parmi les plus désirables. Bien entendu cette idéologie de l’amour annule la dimension de l’autre, car « l’autre » ce n’est pas notre souci. Le partenaire amoureux n’a de valeur qu’au nom des effets qu'il produit, il n'est qu'un simple moyen de connaître l'amour pour soi-même. Poursuivre ainsi l’amour conduit à abandonner toute relation durable pour se remettre perpétuellement en course, en cherchant toujours à réitérer, avec d’autres, la rencontre amoureuse. Aimer l’amour aux dépens de l’autre revient à refuser l’amour, c'est-à-dire la dépendance, l'union effective, au profit d'une illusion sans cesse recommencée : celle de l'enchantement romantique des commencements. 

 

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Il y a des gens si remplis d'eux-mêmes que, lorsqu'ils sont amoureux, ils trouvent moyen d'être occupés de leur passion sans l'être de la personne qu'ils aiment.

François de la Rochefoucauld (Réflexions ou Sentences et Maximes morales [500])

Rédigé par Jean-Marie Le Quintrec

Publié dans #L'amour

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