L’homme, sous certains rapports, est inférieur aux autres animaux ; notamment parce qu’il n’est rien de bien prédéfini. Si beaucoup d’animaux sont au bout de quelques mois ce qu’ils resteront pour toute la suite de leur vie, les petits humains ne sont d’abord pas grand-chose : des nourrissons démunis, doublement inachevés.

Nu et fragile, incapable de ramper ou de tenir sur ses pattes, le petit d’homme est le plus grand prématuré du règne animal. Sa première expérience du monde ressemble à celle d’une tortue retournée sur son dos, intégralement dépendante des bons ou mauvais soins prodigués par autrui. Cette naissance précoce, conjuguée à la défaillance de ces instincts qui permettent à la plupart des animaux de reconnaître leur mère ou de sentir spontanément les dangers, engendre un profond sentiment de détresse qui se manifeste par des pleurs, des cris et des grimaces.

Notre naissance est une déchéance, et ce qui sauva de la dépression les petits hommes que nous étions fut la possibilité de nous enthousiasmer pour les sons, les formes et les couleurs qui s’agitaient, de nous laisser captiver par le regard des adultes, de les toucher, de répondre à leurs sourires en les reproduisant. Les bébés qui manquent de cette aptitude vitale à se détourner de leur détresse initiale sombrent le plus souvent dans une grave dépression. Ils se laissent mourir, comme ceux qui sont privés de soins affectifs.

L’amour est l’occasion offerte au hasard d’une rencontre de réveiller l’enfant endormi en soi, de ressusciter le regard clair et innocent autrefois porté sur le monde. Débordant d’une pure vitalité, l’enfant ne se demande pas pourquoi il existe et, s’il s’intéresse souvent aux causes qui l’ont fait naître, il ne cherche jamais de raison d’être.

Traversant la période critique de l’adolescence, les jeunes humains voient de nouveau se creuser un écart désolant entre le monde et eux. La réalité leur semble très mal s’accorder avec la force et la multiplicité de leurs désirs. Ce constat tragique ravive obscurément leur détresse primitive et menace de les déprimer sévèrement s’ils y sont mal préparés.

« Je n’ai pas demandé à naître », grognent parfois les adolescents lassés par un monde qu’ils jugent hostile. Défensivement repliés sur eux-mêmes, effrayés par l’ennui et accablés d’un sourd désespoir, ils sont secrètement torturés par la quête d’une introuvable raison d’être. À l’image du nourrisson, c’est par la diversion amoureuse qu’ils trouvent généralement leur salut.

L’amour les détourne radicalement de toute interrogation pathologique sur le sens de leur vie. Quand on est passionnément amoureux, la question de savoir ce que l’on fait sur terre ne se pose plus.

L’amour ne donne pas un sens à la vie, il dispense d’avoir à en trouver un.

Le protocole de l'amour - J.-M.Le Quintrec - Librairie Eyrolles

Le protocole de l'amour - J.-M.Le Quintrec - Librairie Eyrolles

"Ce qu'on n'a pas, ce qu'on n'est pas, ce dont on manque, voilà les objets du désir et de l'amour" - Platon 6 clés pour comprendre l'expérience amoureuse Plus de deux millénaires après un fam...

https://www.eyrolles.com/Loisirs/Livre/le-protocole-de-l-amour-9791096486120/

"Dans notre vie, comme sur la palette d’un artiste, une seule couleur donne tout son sens à l’Art et à la Vie, c’est la couleur de l’Amour."

Marc Chagall

Texte extrait du livre intitulé "Le protocole de l'amour" (Jean-Marie Le Quintrec, Editions Séramis), Chapitre 1 (Fédra Mourinhonte)

Le protocole de l'amour - 6 clés pour comprendre l'expérience amoureuse

Le protocole de l'amour - 6 clés pour comprendre l'expérience amoureuse

Plus de deux millénaires après un fameux banquet que la plume de Platon a fait entrer dans l'histoire, six personnages sont de nouveau réunis pour parler de l'amour et du désir. Leurs discours ...

https://www.cultura.com/le-protocole-de-l-amour-9791096486120.html