De la doctrine du péché originel

Publié le 26 Novembre 2013

Saint Augustin, évêque d’Hippone et fervent pourfendeur de la concupiscence, c’est à dire de tout désir égoïste et de toute inclination sensuelle, a tout naturellement assimilé le péché originel au péché de chair. Et bien que cette position théologique fut d’abord marginale, elle a ensuite exercé une influence profonde et durable sur la pensée chrétienne. Pour Augustin, la procréation nécessite l’acte sexuel et cet acte implique toujours quelque appétit sensuel, donc la concupiscence charnelle. Il faut bien que l’homme puisse et que la femme veuille. Dès lors, notre conception même est inéluctablement entachée par le péché et nous ne pouvons venir au monde que souillés, misérables et fautifs. Parce qu’il faut que nos parents copulent pour que nous naissions, le péché s’inscrit fatalement au cœur même de notre être. Seul le Christ, né d’une Vierge, donc conçu en dehors de toute concupiscence, est sans péché. Pour les autres, point de salut hors du baptême, ce rituel purificatoire permettant d’effacer symboliquement le péché dont notre naissance est entachée. Saint Augustin conçoit ainsi le baptême comme une seconde naissance et voit en Jésus celui qui est venu pour sauver les petits enfants du péché originel.

Aussi, la lecture augustinienne ne situe pas seulement le péché originel à la naissance de l’humanité telle que nous la connaissons mais aussi à notre naissance individuelle. Les nourrissons ne naissent pas purs et innocents mais souillés par la faute. Voilà une idée particulièrement séduisante au yeux de Pascal, « il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste » soutient-il dans ses Pensées. L’avidité, la cupidité, la vanité, la bassesse ou encore la faiblesse des hommes en témoignent, naître c’est choir dans une nature misérable. Selon Pascal, l’homme est « visiblement égaré, et tombé de son vrai lieu sans pouvoir le retrouver. Il le cherche partout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables. » Le dogme du péché originel lui offre la possibilité de concevoir la condition humaine, de comprendre les imperfections de l’homme tout comme sa dignité, de saisir l' ambiguïté de cet être qui n’est ni ange ni bête. L’homme a perdu sa nature mais conserve des traces de son état originaire, il subsiste en lui un sentiment intérieur de sa grandeur passée, ce qui a pour effet de renforcer le sentiment de sa misère présente et de le pousser confusément à retrouver l’état qu’il a perdu. « Car enfin, si l’homme n’avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance ; et si l’homme n’avait jamais été que corrompu, il n’aurait aucune idée ni de la vérité ni de la béatitude. Mais, malheureux que nous sommes, et plus que s’il n’y avait point de grandeur dans notre condition, nous avons une idée du bonheur, et nous ne pouvons y arriver ; nous sentons une image de la vérité, et ne possédons que le mensonge ; incapables d’ignorer absolument et de savoir certainement, tant il est manifeste que nous avons été dans un degré de perfection dont nous sommes malheureusement déchus ![i] » La condition de l’homme est donc double, s’il est dégradé, il ne l’est pas entièrement, ce qui ne fait que renforcer la caractère tragique de son existence. L’homme pressent la possibilité du vrai bonheur mais demeure incapable de l’atteindre, il est alors voué à désirer l’inaccessible. « Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur, et sommes incapable ni de certitude ni de bonheur. Ce désir nous est laissé, tant pour nous punir, que pour nous faire sentir d’où nous sommes tombés.[ii] »

Par delà la morale chrétienne, une idée semble pouvoir mériter une attention plus particulière. S’il y a manque c’est qu’au fond quelque chose n’est plus là, et ce quelque chose c’est l’éternité, la plénitude, l’unité. C’est donc parce qu’il a connu le véritable bonheur que l’homme est voué à l’insatisfaction, au désir sans cesse renouvelé de nouveaux biens qui jamais ne correspondront au bien qu’il ne se sait pas poursuivre : le bien éternel. S’il ne l’avait connu, il ne saurait en avoir de pressentiment et ne désirerait pas au delà de ses mesures. Et si l’homme ne peut supporter l’idée de sa propre mort, sa propre finitude, c’est parce que celle-ci s’oppose à son plus puissant désir, tout entier tourné vers l’infini.

[i] Pensées ( Brunschvicg 434)

[ii] Pensées ( Brunschvicg 437)

Rédigé par Jean-Marie Le Quintrec

Publié dans #Les mythes

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